Cancer du sein et trisomie 21 : la recherche au bénéfice de tous
La trisomie 21 s’accompagne malheureusement, souvent, de pathologies associées telles que des atteintes cardiaques, digestives, immunologiques… susceptibles d’être plus répandues dans cette population que dans la population générale. Cependant, il existe, à l’inverse, certaines malformations ou pathologies quasi inexistantes chez les personnes avec trisomie 21 : c’est le cas du cancer du sein.
Le Professeur André Megarbané, médecin généticien et Président du Conseil Scientifique du CRB-BioJeL à l’Institut Jérôme Lejeune, nous en dit davantage.
Quel est le lien entre cancer du sein et trisomie 21 ?
La particularité clinique des personnes porteuses de trisomie 21, chez qui certaines pathologies vont être plus répandues tandis que d’autres sont inexistantes ou presque, a amené des équipes de chercheurs à orienter leurs travaux sur la cause moléculaire de ces pathologies. C’est ce que l’Institut Jérôme Lejeune a entrepris, convaincu que les personnes porteuses de trisomie pouvaient guider et aider à trouver des remèdes pour des maladies fréquentes susceptibles d’affecter chacun de nous. C’est ce qu’on appelle la recherche croisée, au bénéfice de tous.
Ces études ont montré que les personnes porteuses de trisomie 21 sont davantage prédisposées que la population générale à développer des tumeurs hématologiques, mais que leur risque de développer des tumeurs solides est au moins 12 fois plus faible. C’est notamment le cas du cancer du sein, presque absent chez les femmes porteuses de trisomie, bien qu’elles présentent une prévalence plus élevée de facteurs de risque connus de cancer du sein.
À ce stade, que nous apprennent les recherches sur le sujet ?
Afin de comprendre quels sont les facteurs génétiques impliqués dans cette plus faible fréquence du cancer du sein chez les femmes avec une trisomie 21, une étude a été menée à l’Institut Jérôme Lejeune pour comparer l’ensemble des gènes transcrits et le niveau de leur transcription (sur-expression ou sous-expression) chez des femmes avec une trisomie 21, avec ou sans cancer du sein, à celui du tissu tumoral du cancer du sein de femmes témoins sans trisomie 21. Cette comparaison s’est appuyée sur les échantillons biologiques du Centre de Ressources Biologiques de l’Institut Jérôme Lejeune, BioJeL.
Quatre gènes de la même famille, à savoir GIMAP4, GIMAP6, GIMAP7 et GIMAP8 (GTPases of the immunity-associated proteins), se sont révélés être fortement sur-exprimés dans le groupe des femmes porteuses de trisomie 21 sans cancer du sein par rapport aux autres groupes. Nos résultats ont permis de soulever l’hypothèse que les GIMAP pouvaient jouer un rôle suppresseur de tumeur contre le cancer du sein chez les femmes porteuses de trisomie 21, ouvrant la possibilité qu’ils puissent également avoir le même rôle pour d’autres tumeurs solides.
Afin de soutenir davantage nos résultats, nous avons évalué l’expression des membres de la famille GIMAP chez des femmes sans cancer du sein, et avec différents types de cancer du sein. Fait intéressant ; une diminution significative des niveaux d’ARNm* de GIMAP4, GIMAP6, GIMAP7 et GIMAP8 dans les tissus tumoraux par rapport aux tissus mammaires non tumoraux était retrouvée. Ces résultats étaient en accord avec d’autres recherches antérieures, liées à l’association entre les gènes GIMAP et le cancer, et suggérant que ces gènes agissent comme des gènes suppresseurs de tumeurs mammaires.
Depuis la publication de ces résultats en 2020 ((Scientific Reports : Transcriptomic study in women with trisomy 21 identifies a possible role of the GTPases of the immunity-associated proteins (GIMAP) in the protection of breast cancer), cet article a déjà été cité plus de 15 fois par d’autres équipes de chercheurs travaillant sur cette famille de protéines, avec l’espoir de lutter plus efficacement contre les cancers.
La recherche de nouveaux facteurs pronostiques et, espérons-le, de nouvelles stratégies thérapeutiques ou préventives contre le cancer du sein qui atteindrait une femme sur 8 n’est peut-être plus un rêve grâce aux personnes porteuses de trisomie 21 .
Y-a-t-il des recommandations particulières en terme de prévention pour les femmes porteuses de trisomie ?
Le risque de lésion cancéreuse étant quasi inexistant chez les femmes avec une trisomie 21 (vs. entre 12 et 15% dans la population générale), les recommandations médicales suggèrent de ne pas soumettre cette population (pour qui, de surcroit, les examens médicaux peuvent être particulièrement éprouvants), à des examens difficiles (biopsie mammaire, IRM, mammographie etc.). Le suivi préventif est donc considérablement allégé.
*ARNm : molécules chargées de transmettre l’information codée dans notre précieux génome, pour permettre la synthèse des protéines nécessaires au fonctionnement de nos cellules. (INSERM)