Les atteintes alimentaires et digestives de la trisomie 21
Découvre ci-dessous l’intégralité de la nouvelle fiche médicale de l’Institut (juillet 2020) consacrée aux atteintes alimentaires et digestives de la trisomie 21, et rédigée par le Docteur Aimé Ravel (pédiatre compétent en génétique à l’Institut Lejeune), Laude de Verdun (diététicienne à l’Institut Lejeune) et Thérèse Balmitgère (orthophoniste à l’Institut Lejeune).
Les anomalies alimentaires et digestives sont au premier plan par leur fréquence et par leur retentissement sur la vie quotidienne. Le repas est en effet un des premiers modes de socialisation. Nous classerons les anomalies rencontrées en trois groupes, afin d’en énumérer les principales :
- les malformations : des anomalies anatomiques qu’on peut expliquer par l’embryologie.
- Les anomalies biologiques : tous les déséquilibres sanguins et humoraux d’origine biochimique, cellulaire, immunitaire ou infectieuse.
- Les anomalies fonctionnelles qui n’ont pas de support lésionnel.
- LES MALFORMATIONS
Avant la naissance
- Certaines anomalies digestives, du diaphragme et de la paroi abdominale, peuvent être décelées in utero par l’échographie ce qui conduit habituellement à un examen génétique.
Après la naissance
- Le duodénum est le segment initial de l’intestin grêle, il peut être l’objet d’une interruption complète (l’atrésie), révélée par des vomissements bilieux chez un nouveau-né, ou d’un rétrécissement (la sténose) qui se manifeste parfois tardivement, à l’introduction des aliments en morceaux. Atrésie et sténose duodénales s’observent chez 3,9% des bébés T21. Elles sont plus fréquentes chez les garçons. Leur traitement est chirurgical. On en rapproche le pancréas annulaire, situation où le pancréas enserre le duodénum.
- Une artère née de l’aorte, l’artère sous-clavière droite, peut être anormalement située et comprimer l’œsophage, il faut la rechercher devant des difficultés d’alimentation. On la trouve chez 12% des enfants T21 porteurs d’une cardiopathie.
- La maladie de Hirschsprung (2,76%) résulte de l’absence de cellules nerveuses dans la paroi du colon ce qui entraîne une occlusion intestinale. Elle est d’autant plus grave que le segment dépourvu de cellules nerveuses est long. Le chirurgien retire le segment paralysé. Le diagnostic est porté le plus souvent à 48 heures de vie. Lorsque le segment paralysé est limité à la région de l’anus le diagnostic est plus difficile.
- L’imperforation de l’anus (ou atrésie ano-rectale) est assez fréquente chez les enfants T21 (1,16%). L’intervention doit être rapide en raison du risque de perforation.
- Des anomalies congénitales des vaisseaux du foie ont été décrites.
- Les enfants T21 présentent un peu plus souvent (0,6%) que la population générale (1/750) des fentes labio-palatine. La luette bifide (4,63%) et la fente palatine sous muqueuse (0,77%) en sont des formes atténuées plus fréquentes.
- L’atrésie de l’œsophage (interruption de l’œsophage) touche 0,5 à 0,9% des bébés T21 (1/3500 dans la population générale).
- La sténose du pylore touche 0,3% des bébés T21 (5/1000 dans la population générale).
POUR ALLER PLUS LOIN
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Un peu d'embryologie
On désigne par les termes de crêtes neurales deux groupes de cellules situées à la partie postérieures du tube neural de l’embryon qui migrent à l’ensemble de l’embryon au cours du développement et donnent naissance à une grande diversité de cellules chez l’adulte : une partie des os du crâne et de la face et des dents, les mélanocytes de la peau, des cellules endocrines, des cellules nerveuses du système nerveux périphériques intervenant dans la régulation des artères et du tube digestif. C’est ainsi qu’on explique la maladie de Hirschsprung par un arrêt de la migration de ces cellules en direction de l’anus. C’est un chercheur français, Nicole Le Douarin, qui a étudié la migration des cellules des crêtes neurales en greffant des crêtes neurales de caille (de couleur sombre) sur des embryons de poulet (dont les cellules sont plus claires).
- De nombreux cas de hernie diaphragmatique (une brèche dans le diaphragme permettant le passage dans le thorax d’organes abdominaux) ont été publiés.
- La malrotation du petit intestin est possible.
- ANOMALIES BIOLOGIQUES, IMMUNOLOGIQUES, ET INFECTIEUSES
A la naissance
- Chez tous les nouveau-nés peut survenir un ictère physiologique, c’est-à-dire une jaunisse bénigne liée à la dégradation des globules rouges en excès qui suit la naissance. Mais chez 3,9% bébés trisomiques 21 peut survenir aussi un ictère pathologique dit rétentionnel avec des selles décolorées et des urines brunes pouvant résulter de plusieurs causes.
Après la naissance
- Plusieurs études, y compris dans des pays ensoleillés, ont montré la fréquence des taux faibles de vitamine D chez les personnes avec T21. Il faut donc leur en donner systématiquement.
- L’infection à hélicobacter pylori est fréquente. Cette bactérie entraîne une irritation de l’estomac (gastrite), voire un ulcère de l’estomac ou duodénum. Cette bactérie est présente dans la salive et dans les selles des personnes contaminées. Les signes les plus fréquents sont mauvaise croissance pondérale, douleurs abdominales et anémie. Le dépistage repose sur une prise de sang.
- Chez l’enfant T21 peut survenir une cirrhose non alcoolique associée à la surcharge en graisse du foie même chez les enfants et adultes non obèses. Elle pourrait être favorisée par les apnées du sommeil.
- Lithiase et boue biliaires sont très fréquentes, le plus souvent découvertes à l’échographie systématique. Parmi des enfants T21 de moins de 3 ans, 6,9% avaient une lithiase biliaire et 2,1% de la boue biliaire.
- La prévalence globale de la maladie cœliaque (intolérance au gluten) est estimée à 6,6% chez l’enfant T21 et 5,1% chez l’adulte T21, ce qui justifie son dépistage systématique par un examen sanguin. Le plus souvent elle n’est associée à aucun trouble digestif.
- La langue en carte de géographie est rencontrée, chez 4% des enfants T21. Dans la population générale elle est souvent associée à un psoriasis.
- Plusieurs études ont montré la sensibilité au virus de l’hépatite B des personnes T21 et leur prédisposition à développer une hépatite chronique. La vaccination est vivement recommandée. On n’a pas trouvé de plus grand fréquence de l’hépatite A.
- Plusieurs cas de maladie de Crohn ont été publiés. Les principaux signes sont douleurs abdominales, perte de poids et diarrhée.
- Quelques cas de pancréatites ont été publiés chez l’enfant T21, le diagnostic est évoqué devant des douleurs abdominales intenses.
- Des anomalies immunitaires du foie (hépatites et cholangites auto-immunes) ont été rapportées, qui se manifestent par fatigue, nausées, perte de poids, prurit.
- LES TROUBLES FONCTIONNELS
- Les difficultés alimentaires sont fréquentes : dans les premiers mois de vie une succion peu tonique et des troubles de la déglutition ; plus tard des troubles de la mastication et des fausses routes avec les morceaux. Le reflux des aliments par le nez n’est pas rare dans les premiers mois de vie, peut-être favorisé par l’insuffisance du voile du palais.
- Le reflux gastro-œsophagien est fréquent (on le retrouve chez 47% des enfants qui présentent des apnées du sommeil). Il peut favoriser l’asthme non contrôlé et les infections respiratoires répétées, surtout chez le jeune enfant. La complication à long terme est le rétrécissement (sténose peptique) de l’œsophage.
- L’achalasie, trouble de la motricité de l’œsophage tel que les aliments descendent avec difficulté dans l’estomac, est plus fréquente chez les T21 que dans la population générale.
- L’obésité et la surcharge pondérale constituent un problème important.
L’IMC est plus performant que le poids pour dépister l’obésité et il faut utiliser les courbes d’IMC établies pour la population générale et non les courbes spécifiques aux T21 sinon on méconnaîtrait une proportion importante d’obèses. Aujourd’hui on tend à considérer que les facteurs principaux sont les apnées du sommeil et la faible activité physique. Comme dans la population générale la surcharge pondérale et l’obésité des mères sont corrélées à celles des jeunes adultes T21 ce qui suggère le rôle des habitudes alimentaires et des obstacles à l’activité physique. Une étude a montré que les personnes T21 mangent peu de fruits, de légumes et de poissons, une autre qu’ils mangent des quantités importantes de protéines, de graisses et de sucres lorsqu’ils peuvent choisir leurs aliments. Un travail montre qu’à activité physique égale, les T21 n’ont pas une masse grasse supérieure aux non trisomiques.
L’obésité augmente le risque d’apnées du sommeil : l’IMC est corrélé à l’index d’apnées-hypopnées chez les T21. L’obésité retentit sur la marche et en particulier sur les hanches. La surcharge pondérale accentue la pression sur la voûte plantaire, il faut donc surveiller régulièrement les pieds chez les obèses.
La prévention de l’obésité nécessite l’augmentation de l’activité physique et la surveillance de l’alimentation. On conseille de surveiller l’IMC dès la naissance, 2 ou 3 fois par an.
- La constipation est un des symptômes les plus fréquemment retrouvés en consultation. Il faut toujours penser à une maladie de Hirschsprung et à une intolérance au gluten dont la constipation est un des signes les plus fréquents.
EN PRATIQUE
Une donnée importante à prendre en compte par le médecin est la difficulté d’expression de la douleur par les personnes T21. La douleur prend souvent l’apparence de troubles du comportement. Lorsqu’un patient T21 exprime une douleur il faut le prendre au sérieux en sachant qu’il peut y avoir une erreur de localisation. Ainsi la plupart des jeunes qui se plaignaient « des dents » avaient en réalité une œsophagite érosive ou une gastrite érosive.
Les anomalies anatomiques sont parfois découvertes tardivement en raison des caractéristiques propres à ces patients : l’introduction tardive des aliments en morceaux, la faible expression de la douleur.
La langue en carte de géographie est fréquente et bénigne, il faut rassurer le patient et rechercher des sensations désagréables en faveur d’une surinfection mycosique.
La fréquence de la maladie cœliaque justifie son dépistage systématique.
Les difficultés d’alimentation sont souvent méconnues par l’entourage que ce soit l’entourage familial pour les enfants ou l’entourage éducatif pour les adultes. Il est donc important qu’un professionnel compétent, soit une orthophoniste soit une infirmière formée, observe les repas.
La fréquence des troubles de la mastication et les fausses routes justifient la rééducation orthophonique précoce. Il est important de commencer l’orthophonie très tôt pour travailler les praxies, la qualité de la mastication allant de pair avec celle de l’articulation. En cas de fausse route ou de difficultés masticatoire, l’usage commun est de ne donner aux patients qu’une alimentation de texture lisse, ce qui est une erreur car le développement et le maintien de la sensibilité buccale nécessitent une texture craquante, croustillante ou granuleuse.
L’introduction souvent tardive des morceaux explique que certaines anomalies du duodénum soient découvertes tardivement. Chez un patient qui ne mange pas d’aliments en morceaux, toujours penser à un obstacle anatomique.